Peacock

Un film de Bernhard Wenger

18 juin 2025Comédie Dramatique

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR BERNHARD WENGER

D’où vous est venue l’idée de ce film ?

J’ai découvert le phénomène des agences de location d’amis en 2014 dans un article de presse, et je me suis dit que ce serait un bon sujet de long métrage. En 2018, je me suis rendu au Japon pour rencontrer des employés de ce type d’agences. Elles y sont très populaires depuis une vingtaine d’années. À l’origine, elles avaient pour vocation d’aider les personnes confrontées à l’isolement et à la solitude, elles leur permettaient de s’exercer aux interactions sociales. Aujourd’hui, on peut y louer une personne pour améliorer son image ou manipuler quelqu’un. Il m’a semblé que cela constituait un cadre fascinant et bizarre, idéal pour un film.

Peacock s’apparente à une comédie décalée ; sur quoi repose cet humour ?

L’humour que j’aime employer, depuis mes courts-métrages, est à la fois pince-sans-rire et visuel. Aujourd’hui, l’humour passe surtout par les dialogues. Mais si vous regardez les films de Jacques Tati, par exemple, l’humour visuel est tout simplement merveilleux. La mise en scène, la direction artistique et les costumes sont essentiels à mes yeux pour faire naître le rire. Qui plus est, j’aime plonger mes personnages dans des situations incongrues, comme nous en rencontrons tous dans notre vie de tous les jours. Nos interactions au quotidien regorgent de détails absurdes. Je me retrouve aussi beaucoup dans la noirceur et la liberté de ton du cinéma scandinave ou des comédies grinçantes britanniques.

Le plus grand défi pour Matthias consiste à conserver une authenticité dans sa vie personnelle, tout en restant crédible dans les missions que lui confient ses clients. Cette dichotomie devait être un territoire passionnant à explorer.

Contrairement aux acteurs qui se produisent sur une scène ou un plateau de cinéma, Matthias n’arrête jamais de jouer la comédie, et ses clients sont les seuls à savoir qu’il s’agit d’une mise en scène. Je pense que c’est ce qu’il y a de plus difficile pour les personnes qui travaillent dans ces agences. Au Japon, j’en ai rencontré une qui m’a confié ne plus arriver à éprouver de vraies émotions. Le personnage de Matthias s’inspire de cette réalité. Il se ferme toujours avant une mission, pour ne pas s’attacher lorsqu’il doit jouer un membre de la famille, un compagnon ou autre. Mais quand il rentre chez lui, il a du mal à s’ouvrir à nouveau. Je trouve cette contradiction passionnante et tragique.

Qui sont les clients de Matthias ?

La majorité d’entre eux sont des gens de la haute société. D’ailleurs, le film commence sur une voiturette de golf en feu, métaphore de la classe sociale représentée. L’idée était de regarder le véhicule se consumer aussi longtemps que possible, sans multiplier les angles, seulement en s’approchant peu à peu, à mesure que nous nous rapprochons du début de l’histoire. Ces gens ont assez d’argent pour louer une personne afin de se présenter sous leur meilleur jour. C’est un peu comme sur les réseaux sociaux, où l’on ne montre que les aspects les plus reluisants de sa vie, et où beaucoup de choses paraissent plus belles qu’elles ne le sont en réalité. A un moment donné, il faut se demander où est la réalité. De nos jours, il est impossible de savoir si une chose est réelle à 100%.

Dans Her, Scarlett Johansson joue une IA dont Joaquin Phoenix tombe amoureux, et ce n’est pas si éloigné de ce qui se passe dans votre film: comme si une IA en chair et en os venait vous dire ce que vous voulez entendre et rebooster votre ego.

C’est vrai. Les deux sont des constructions dystopiques, mais les agences de location d’amis existent réellement et le modèle japonais n’est pas loin d’être reproduit partout dans le monde. La superficialité devient notre lot à tous, et la dématérialisation des échanges y contribue bien sûr de façon considérable. Les gens de ma génération ont des rapports de plus en plus artificiels, et notre tendance à l’autopromotion, notre vanité et notre désir de reconnaissance peuvent nous pousser à jouer un rôle dans notre vie quotidienne.

Le rôle principal est interprété par un acteur formidable, Albrecht Schuch. Comment l’avez-vous choisi ?

Albrecht est un acteur incroyable et très polyvalent. Il a souvent joué les héros, j’ai donc trouvé intéressant de lui proposer un rôle tout à fait inverse. Mattias est complétement perdu dans sa vie personnelle, mais il fait semblant d’être un héros dans les missions qu’on lui confie. Après qu’Albrecht a découvert le scénario, nous avons eu de nombreuses conversations sur l’évolution du personnage, sur certaines scènes en particulier, mais aussi sur des détails. Ensuite, nous avons affiné le ton et les traits du personnage pendant une longue période de préparation. Nous nous sommes aussi rendu compte que nous avions un goût commun pour l’humour décalé dans le cinéma indépendant, et j’imagine que cela a contribué à son intérêt pour le projet.

Le film mélange différents genres. Pouvez-vous éclairer ce choix ?

Le film navigue entre le tragique et l’humour : Peacock est une satire, une tragicomédie. Mais bien évidemment, le curseur se déplace au cours du film. Au départ, on ne connaît pas encore Matthias, ni ses problèmes. Le spectateur est plongé dans ce monde artificiel et découvre que le personnage ne repose sur rien de réel. C’est progressivement qu’il prend conscience de la nature tragique du protagoniste et de sa situation. La paranoïa de Matthias engendre une tension dans le film qui introduit des éléments propres au thriller. Plus la situation est tragique, plus elle en devient absurde et chaotique. Mais cela ajoute une couche d’humour, de plus en plus noir à mesure qu’avance le film.

Comment avez-vous constitué votre équipe de tournage ?

Pour ce film, j’ai eu la chance de pouvoir m’entourer de professionnels avec qui j’avais déjà travaillé. Notamment le directeur de la photographie, Albin Wildner, et le monteur, Rupert Holler, avec qui je collabore depuis des années. Nous avons fait nos études de cinéma ensemble, et ils m’ont accompagné sur tous mes courts-métrages. Ils se sont impliqués dans ce projet du début à la fin, bien au-delà du rôle pour lequel ils sont crédités au générique. Il en va de même pour les sociétés de production, avec des producteurs aussi créatifs que Michael Kitzberger, Wolfgang Widerhofer et Martina Haubrich. Je me suis toujours senti libre de partager mes idées et d’en discuter avec eux, c’était une merveilleuse collaboration.